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L’état d’avancement de la procédure de consultation du CHSCT sur un projet de déménagement ne remet pas en cause son importance et son impact sur les salariés de l’entreprise concernée. Ainsi, la décision du CHSCT de recourir à un expert en raison de l’existence d’un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, ne peut être annulée.

 

En l’espèce, deux sociétés du même groupe annoncent, en septembre 2018, le déménagement d’un établissement situé dans le 12ème arrondissement de Paris vers un nouveau site, situé dans la commune de Villejuif.

En mai 2019, le CHSCT de cet établissement vote le recours à une expertise en vertu de l’article L.4614-12 du code du travail (aujourd’hui abrogé) en invoquant l’existence d’un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail.

Pour rappel : Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l’article L. 4612-8-1 (CT art. L. 4614-12 2° abrogé).

Article L4612-8-1 : Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l’outillage, d’un changement de produit ou de l’organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail.

Cependant, à la demande des directions des deux sociétés, le tribunal de grande instance annule cette délibération du CHSCT.

En effet, pour le juge, « il était prématuré de qualifier à la date du vote [mai 2019] le projet de déménagement des locaux de l’établissement DESI vers le site New Villejuif de projet important, » étant donné que « la phase d’information-consultation sur la conception détaillée des aménagements n’était pas encore engagée »

Le juge se basse aussi sur procédure prévue par un accord méthodologique pour la conduite des grands projets immobiliers datant du 10 avril 2013. Cet accord prévoit trois étapes respectivement intitulées « Enjeux et organisation du projet », « Expression des besoins futurs, analyse des métiers, activités et programmation » et « Conception générale et détaillée des aménagements ». Les deux premières phases ne donnent lieu qu’à de simples mesures d’information envers la représentation du personnel alors que seule la troisième phase donne lieu à l’engagement de la procédure d’information-consultation.

Or, pour le juge, la réunion de mai 2019 ne pouvait pas constituer la troisième étape nécessitant la consultation des instances représentatives du personnel d’où le caractère prématuré de la décision d’organiser une expertise. N’étant pas dans la troisième phase, il n’était pas encore possible de juger de l’importance du projet. Et si le projet n’est pas important, l’expertise n’est pas possible.

Le CSE, entre-temps mis en place, reprend l’affaire et forme un pourvoi en cassation.

Ce dernier fait notamment valoir que « l’appréciation de l’importance d’un projet de déménagement ne dépend pas de l’état d’avancement de la construction des nouveaux locaux et de leur aménagement mais des répercussions effectives du changement de lieu de travail sur les conditions de travail des salariés ».

Il ajouter que l’état d’avancement de la procédure de consultation du CHSCT n’a pas à être pris en compte pour apprécier l’importance du projet.

La Cour de cassation donne raison au CSE et casse la décision du tribunal de grande instance.

En effet, comme constaté « le processus décisionnel relatif au regroupement et au déménagement des salariés du site de Paris-Daumesnil sur ce nouveau site de Villejuif était acquis et que les sociétés convenaient que le projet serait à terme un grand projet immobilier ayant pour effet de générer une redistribution significative des espaces de travail et de leur usage pour les salariés concernés »

Il existait donc bien un projet d’aménagement important modifiant les conditions de travail permettant, de ce fait, une expertise.

Cette décision devrait s’appliquer aux CSE puisque les articles L. 2312-8, 4° et l’article L. 2315-94 reprennent les dispositions indiquées ci-dessus concernant le CHSCT.

Remarque : La question du moment auquel le comité peut décider le recours à une expertise, en cas de projet important s’est déjà posée. Cependant il s’agissait souvent pour l’employeur d’invoquer le caractère tardif du recours pour le contester. A cette occasion, la Cour de cassation a déjà jugé que le recours à un expert pouvait intervenir une fois que la nouvelle organisation avait commencé à être mise en œuvre (Cass. soc. 24-10-2000 no 98-18.240 ; Cass. soc. 14-3-2018 no 16-27.683).

En l’espèce, il s’agissait ici du caractère trop précoce du recours.  Mais la Cour adopte une position également très souple : dès lors que le projet est davantage qu’une simple esquisse – regroupement et déménagements acquis, annonce par la direction des importantes conséquences qu’il aurait pour les salariés – le CHSCT (et donc à notre sens le CSE) est libre de décider du moment exact où il demanderait l’assistance d’un expert.

Cette position peut mettre le comité face à un choix délicat surtout dans les cas où, comme en l’espèce, le projet en cause s’étale sur le long terme : pour que l’expertise lui soit véritablement utile, elle ne devra pas se situer trop en amont du projet, aux risques de n’avoir que des précisions insuffisantes sur les conditions de travail finales des salariés, mais pas trop vers l’aval non plus, sauf à se trouver devant des faits accomplis et à ne pas avoir son mot à dire sur les choix de l’employeur.

 

Cass. soc., 12 mai 2021, n° 19-24-692